Da Carmine, incarnation naissante
« It’s you who decides what to contribute »
Wayne Shorter
« Les derniers seront premiers et les premiers seront derniers ». Pour lointainement paraphraser Saint Matthieu, notre dernier concert de l’année à Lorrez-Le-Bocage sera le premier de Da Carmine, groupe crée en 2022 au sein du Centre de Musique Didier Lockwood (CMDL). Mais à la Cave du Jazz, beaucoup d’appelés et peu d’élus… Les Da Carmine sont donc lucides : une chance leur est offerte, heureux transfuges du microcosme scolaire, de pouvoir tester en public les compositions fraîchement enregistrées et à peine mixées de leur chanteuse, la jeune et charismatique Claire Nouet. On s’étonnera très agréablement de cette propension, si tôt, aux créations originales. Elles s’agrémentent toutefois de trois reprises en épitaphes, honorant les décès récents de Wayne Shorter et Ahmad Jamal. La jeune fille et la Mort presque, car Claire Nouet prend soin de tempérer avec une joie certaine cette actualité historique par le grand amour qu’elle leur porte.
Et c’est par sa voix, par cet instrument qu’elle s’est choisi, qu’il se déclinera tout le long du concert. De ce chant noué à ses propres compositions émane une douceur de Fauve matissien à l’analyse vive et nette : comme le peintre, les changements de styles soudain, sur une même ligne, sont dénués de confusion. Voilà une esthétique ferme qui certainement se construisit au CMDL par affinités électives. Mais de l’habitus scolaire il faut se détacher et ambitieusement passer à l’œuvre habitée. Claire Nouet le sait qui chante le destin sur scène, même si le sien a le goût d’un « amer naufrage ». Ce « destin fantasmé » sera pourtant le support de toutes les expériences d’un voyage initiatique si nécessaire. On discerne du reste chez le pianiste Jean Saint Loubert Bié une passion musicale quasi romantique. Indifféremment au son du Fender rhodes ou du piano classique, il déroule le grand alphabet des meilleurs pianistes du Jazz moderne en donnant, convulsivement, tout ce qu’il possède en propre. Contrastant avec l’économie de mouvements du batteur Guillaume Jaboulay qui maintient dans une nonchalance maîtrisée un drive constant. L’inclination à l’introversion du contrebassiste Ethan Denis laisse, elle, deviner par le morceau Crève-coeur la sensible écoute du thème Nigerian marketplace d’Oscar Peterson marqué par le recueillement. Mais c’est bien par la vocalise qu’une orientation de cet ordre apparaît et se dessine avec la voix, posée dans le fond du temps, de Claire Nouet. Quand finit son thème, commence alors par un lâcher prise salvateur l’improvisation au chant qui promet toutes connexions. Et Claire Nouet de danser au-devant des exercices appliqués ; on la sait croire alors en qui elle est et ce qu’elle propose au monde, c’est-à-dire une volonté forte de devenir, et la naissance d’une incarnation que Meredith Monk, par exemple, porte comme un couronnement (« Do you be ? » in Key parmi tant d’autres).
Habiter en Art, choisir singulièrement son lieu, partager le moteur de l’existence et un plaisir qui ne cède pas, voilà qui doit raisonner aujourd’hui chez cette artiste, sujet doué de langages et auteure de décisions.
A 22 ans d’âge moyen, Da Carmine fait une proposition de 70 minutes sur scène, format théâtral constitué de leurs créations originales - je le répète. L’ensemble de celles-ci apporte une certaine concision : le parti pris est bien de mesurer une longueur juste. Pour la jeunesse une année peut durer une vie, cependant elle ne s’éternise pas ici et aérienne survole les influences sans faire se succéder les habituels standards du Jazz.
« Si c’est trop court, c’est plutôt une bonne chose ! » conclue-t-elle. Comme par enchantement, le concert s’achève sans trop en prendre conscience : on appelle cela le Printemps.
Cyril Durand, le 20 Mai 2023
(adieu.maldone@gmail.com)
02/08 : Le coup de soleil
Les Franciliens d’adoption de Da Carmine montent sur la plateforme : la chanteuse Claire Nouet, le pianiste Jean Saint Soubert Bié, le contrebassiste Ethan Denis et le batteur Pierre-Eden Guilbaud.
Derrière le vocable « jazz progressif » se cache un répertoire franco-anglais aux influences diverses. Claire et ses compagnons de route se sont rencontrés au Centre des Musiques Didier Lockwood. Elle écrit et compose, la valeur n’attendant pas le nombre des années, des chansons pleines d’émotion. L’éclectisme musical permet à la fois une variété de thèmes et une cohérence de groupe convaincante.
De ballades en morceaux proches du rock en passant par des compos contrastées, la voix profonde s’appuie sur une instrumentation équilibrée : la valeur sûre qu’offre un trio piano, contrebasse, batterie. Le piano introduisant la plupart des chansons, contrebasse et batterie assurent une rythmique sans faille. Au fil du set, chacun aura ses soli, Claire passera de la chanson parlée, aux vocalises et au scat avec fluidité. Un hommage au coloriste Wayne Shorter, des inspirations moins explicites sculptent un univers singulier.
Cinq textes en français, trois en anglais et une chanson conclusive sans texte se sont succédé : Le fils du lac de palme, What’s next, Crève cœur, La rumeur, Soixante, Triste mélodie, Partner in crime, The painter, Pipo.
P.S. Da Carmine repartira avec le second prix offert par la FNAC de Crest.
03/08 : Walking on sunshine
Da Carmine, lauréat du second prix se retrouve à remplacer le gagnant par un malheureux concours de circonstances ayant empêché Knobil de se produire en ouverture de l’ultime soirée de cette quarante-huitième édition. Claire Nouet est au chant, Jean Saint Soubert Bié au piano, Ethan Denis à la contrebasse et Pierre-Eden Guilbaud à la batterie.
Leur répertoire de la veille s’est légèrement modifié dans l’ordonnancement des morceaux. Il s’est aussi étoffé de deux titres dont un arrangement swinguant de In a sentimental mood de Duke Ellington. Le concert s’achève encore par le trépidant Pipo et son absence de paroles mais une voix qui scatte à loisir en sonorités vocales et autres onomatopées, le quartet osant enfin un salvateur lâcher prise !
Le passage de la scène du village à la grande scène de l’espace Soubeyran (enfin copieusement garni !) s’accompagne d’un volume sonore plus conséquent, d’éclairages, malgré le jour encore présent, et d’un espace de jeu plus important. La différence la plus notable est la qualité du son du piano à queue Steinway qui magnifie le jeu de Jean. Pour le reste, la puissance sonore met mieux en valeur les chansons proposées par ces anciens élèves du Centre des Musiques Didier Lockwood. Le regretté violoniste s’était lui-même produit sur cette même scène en 2012 et 2015. La petite et la grande histoire du jazz ne s’écrivent-elles pas aussi dans ses festivals ?
Claire semble émue de jouer, pour la première fois devant une assistance si nombreuse. Elle a d’ailleurs écourté ses présentations. Elle n’a cependant pas manqué d’évoquer leur premier clip autour de la chanson Triste mélodie. Elle a aussi rappelé leur présence sur les plateformes et les réseaux sociaux… Eh oui, nous sommes au XXIème siècle !
Au concours, il y a forcément la pression d’être jugé sur un set de quarante-cinq minutes. Sur la grande scène, il y a l’espoir d’être apprécié dans un set d’une heure par un public qui ne vous connaît pas et surtout, n’est pas venu pour vous. Force est de constater que le pari a été gagné. Ils ont été écoutés, ils ont été applaudis !
Photographies de Aurélien Tranchet : https://www.facebook.com/Aurelienlamtranchetphoto/
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